Au Timor oriental, prendre soin de la terre nourricière



Portrait

Ego Lemos, chanteur timorais mondialement connu, a compris que la nature lui avait sauvé la vie pendant les années de guerre. Il développe maintenant des jardins potagers dans les écoles du pays.


  • Pierre Cochez, envoyé spécial à Dili (Timor Oriental),

Au Timor oriental, prendre soin de la terre nourricière

On le rencontre, à l’improviste, dans les locaux de Permatil, une ONG qu’il a fondé il y a une quinzaine d’années pour promouvoir la permaculture et la relation des Timorais avec la nature.

L’entrevue se déroule dans la pièce jaune moutarde d’une maison toute simple de Dili, la capitale du Timor Oriental, aux fenêtres encombrées d’une végétation luxuriante. Le seul luxe de ce bureau – où traîne sur la table un rouleau de papier toilette et dans les coins, quelques chaises de bois –, tient dans sa température polaire, produite par un climatiseur qui ronronne. Ego Lemos sort, sans doute, de sa sieste, en tongs, bermuda fleuri, tee-shirt et dread locks. Le lendemain, il part pour le Japon recevoir un prix qui salue à la fois son œuvre musicale et son engagement dans Permatil.

Il se connecte avec la nature dans sa fuite pendant la guerre

Ce chanteur reconnu dans toute la région Asie-Pacifique, et notamment en Australie, a la douceur et la gravité de ceux qui ont traversé l’indicible. Son enfance lui a prouvé que la nature était essentielle à l’homme. C’est cette nature qu’il veut maintenant faire connaître aux enfants timorais.

En 1975, le Portugal quitte l’île de Timor, après plusieurs siècles de colonisation. À l’Est, le territoire est immédiatement envahi par l’Indonésie voisine. La famille d’Ego Lemos fuit dans la jungle.

« Nous avons passé quatre ans et demi cachés dans les montagnes. C’est là que je me suis connecté avec la nature. » Son père est arrêté en 1976 – « on ne l’a jamais revu. » Sa mère, lui, sa sœur et son frère, plus jeunes, ont marché du nord au sud de la péninsule, se cachant dans les grottes, se nourrissant de ce que pouvait donner la forêt, escaladant les montagnes. « Ma sœur est morte de sous-alimentation en 1978. Mon frère a été arrêté, puis est mort d’empoisonnement », raconte-t-il d’une voix douce, le dos bien droit sur sa chaise de bois. « Je suis resté seul avec ma mère. »

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Aujourd’hui, il parcourt le monde en chantant en tetum, la langue timoraise, d’une voix chaude et grave qui en fait le cousin de Sixto Rodriguez, le héros de Sugar Man, de l’Ougandais Geoffrey Oryema ou encore de Tracy Chapman. Lui dit avoir été bercé dans sa jeunesse par la poésie des chansons de Bob Dylan, la musique de John Lennon et plus tard par le rythme de Bob Marley.
Ego Lemos a réalisé une tournée européenne en 2010, s’est produit à Londres pour les Jeux Olympiques deux ans plus tard, s’est rendu huit fois au Japon. Mais sa base est ici, au Timor. Il a tout de même effectué deux séjours pour étudier la permaculture en Australie, notamment en 2002, l’année de l’indépendance de son pays.

« Vivre avec la nature est une fête »

Depuis, il a décidé de militer pour cette forme d’agriculture naturelle. « Les Indonésiens avaient voulu industrialiser notre agriculture. Nos fermiers étaient devenus dépendants de la hausse du prix des semences extérieures. » Avec l’indépendance, le gouvernement indonésien remballe son soutien à un système agricole industriel à base de semences hybrides, pesticides et engrais azotés.

Alors, Ego Lemos et quelques amis créent Permatil « pour rendre l’agriculture « sexy », surtout chez les jeunes. » Depuis, Ego Lemos, aidé par sa notoriété de chanteur, a fait voter par le parlement une loi qui impose à chaque école primaire de développer un jardin scolaire et d’intégrer sa culture dans la pédagogie. Cent cinquante écoles du pays ont déjà créé ces jardins potagers où cultivent enfants et parents. « C’est important d’apprendre à manger des produits frais. C’est également essentiel de montrer que vivre avec la nature est une fête. »

Depuis 2010, L’ONG, aidée par le diocèse de Dili, organise chaque année un camp qui rassemble 700 jeunes dans la jungle pendant trois jours autour des techniques de la permaculture. « Nos racines sont mélanésiennes. À Timor, on estime que 85 % des habitants sont encore en contact avec la nature. C’est important de le rester. » D’autant plus qu’ici, sur cette terre chaude, humide et fertile, cette nature est généreuse. Permatil développe également des systèmes pour recueillir l’eau de pluie.


Le chanteur, ami d’autres artistes engagés dans les causes environnementales ou humanitaires comme Bob Geldorf ou l’Irlandais Bono, reçoit pour Permatil le soutien de plusieurs ONG internationales, comme la britannique Oxfam, l’irlandaise Concern ou, en France, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) – Terre Solidaire. Ego Lemos souligne d’ailleurs le rôle de l’Église catholique dans le combat pour l’indépendance des Timorais. « Elle nous a permis de connecter notre combat au monde. »
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Son inspiration  : Les livres de Bill Mollison

« Ce sont les livres de Bill Mollison qui m’ont fait tomber amoureux de la permaculture », explique Ego Lemos. Ce scientifique australien, né en 1928 et mort en 2016, était originaire de l’île de Tasmanie. Il a créé à l’université de Tasmanie le département de psychologie environnementale. Puis il a développé en 1974 le concept de la permaculture en collaboration avec David Holmgren. Il reçut en 1981 le prix Nobel alternatif pour ses travaux. Depuis, ses livres inspirent des générations d’entrepreneurs. Le chanteur timorais a suivi des cours en 2002 de l’institut de permaculture de Tasmanie. « J’ai vécu mon diplôme comme une reconnaissance. »

publié par Association France Timor Leste @ 17:53,

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