Fifo 2018 : avec “Abdul & José”, le Timor découvre le documentaire


Fifo 2018 : avec “Abdul & José”, le Timor découvre le documentaire



Abdul & José, de Luigi Acquisto et Lurdes Pires.

Le Festival international du film océanien, qui se tient jusqu’au 11 février à Papeete, fête cette année ses 15 ans. Il accueille un passionnant premier documentaire timorais qui nous fait découvrir des faits historiques largement ignorés en Europe.
La pluie qui, depuis quelques jours, tombe à grand bruit sur Tahiti contredit le cliché gauguinesque des mers du Sud. Mais « qu’on ne s’y trompe pas », prévient Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la Culture de la Polynésie française : « Quand vous voyez une averse, nous voyons les larmes du dieu Oro. » Rien de tel que les changements de points de vue pour battre en brèche les a priori qui bloquent les confrontations avec le réel.
Lorsque, voilà quinze ans, il cofonda le Festival international du film océanien, qui se tient cette semaine à la Maison de la culture de Papeete, l’idée était de révéler et de renforcer les liens et les échanges entre les îles, les nations et les peuples disséminés d’un continent qui n’en est pas tout à fait un. « Du fait de notre géographie, on ne devrait jamais se rencontrer », explique Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l’Outre-mer à France Télévisions, originaire de Nouvelle-Calédonie, dont l’amitié avec celui qu’on appelle « Heremoana » est pour beaucoup dans la naissance du Fifo.

Australie, Nouvelle-Zélande, Papouasie, Hawaï, Samoa…

Quinze ans plus tard, le Polynésien et le Mélanésien n’ont pas changé de position. Pour eux, cette manifestation, où convergent professionnels du documentaire venus d’Australie et de Nouvelle-Zélande, mais aussi de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Hawaï ou des îles Samoa, n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle relie le plus distant et cherche dans l’altérité une forme d’universalité. Ce qu’elle fait cette année en accueillant un film du Timor : Abdul & José, de Luigi Acquisto et Lurdes Pires, premier documentaire d’un pays à la cinématographie balbutiante.
L’histoire d’un des quatre mille enfants enlevés par les Indonésiens lors de la guerre qu’elle livra au Timor oriental : José, devenu Abdul du fait de sa conversion à la religion musulmane, kidnappé en 1979 à l’âge de 9 ans et envoyé dans un orphelinat indonésien. Trente-cinq ans après, bénéficiant d’un programme mis en place par les deux pays à des fins de réconciliation, il passe la frontière et retrouve une famille qui ne l’a pas oublié, mais qui le croyait mort et lui a même consacré une tombe. Abdul & José suit le « mort-vivant » dans ce retour éprouvant et salvateur, accompagné de son épouse et de leurs enfants.

Une sorte d’acte de naissance du documentaire timorais

Passionnant par ce qu’il nous fait découvrir de faits historiques largement ignorés en Europe, le film consiste aussi, jusque dans ses maladresses, dans une sorte d’acte de naissance du documentaire timorais. Un film produit par Bety Reis, connue dans son pays pour une activité théâtrale (avec la troupe Bibi Bulak, alias La Chèvre folle), la coréalisation, en 2013, du premier long métrage de fiction timorais (A Guerra da Beatriz) et d’une telenovela (Ajar) cofinancée par l’Union européenne.
« Faute d’école de cinéma au Timor, c’est en autodidactes que nous nous sommes formés », explique Bety Reis, qui profita d’un tournage australien dans son pays, en 2008, pour observer comment travaillaient les gens du métier. Et qui suivit un atelier de formation mis en place par un organisme étranger, avant de monter une structure de production avec des amis australiens.

L’émergence d’un secteur audiovisuel national embryonnaire

En partie financé par la Communauté des pays de langue portugaise, Abdul & José lui a permis, comme à Luigi Acquisto et Lurdes Pires, de renforcer son savoir-faire. Au point qu’elle se sent aujourd’hui en mesure de monter sa propre société timoraise et d’y intégrer des compatriotes pour les former et favoriser ainsi l’émergence d’un secteur audiovisuel national encore embryonnaire.
Parmi les projets de Bety Reis : un documentaire retraçant l’aventure de Bibi Bulak, qui, de 2000 à 2010, parcourut le pays dévasté par la guerre, en proposant des spectacles au ton léger qui l’ont rendue célèbre. Du drame d’Abdul/José à l’humour de La Chèvre folle, qu’on espère découvrir lors d’un prochain Fifo, c’est l’éclosion possible d’une cinématographie nouvelle dont se sera fait cette année l’écho ce festival des antipodes.

publié par Association France Timor Leste @ 23:04,

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