José Ramos-Horta, diplomate combattant

LA CROIX

Portrait

Il a bataillé pendant vingt-cinq ans pour obtenir que son petit pays, le Timor oriental, poussière de l’Empire portugais, ne soit pas oublié et devienne une nation.

  • Pierre Cochez, envoyé spécial à Dili (Timor oriental), 
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José Ramos-Horta, diplomate combattant
Son jeune et petit pays se « situe à la fin du monde », explique-t-il dans un français parfait en employant toute la poésie mélancolique de la langue portugaise, celle avec laquelle il a grandi et qu’il partageait avec son père. Le Timor oriental, avec son million d’habitants, « ne fera l’objet que d’une note en bas de page dans l’histoire du monde », estime José Ramos-Horta, qui ne s’en formalise pas.

Le Nobel de la Paix en 1996

Il est né en 1949 sur cette moitié d’île lointaine, isolée, oubliée, une poussière de l’Empire portugais inexplorée durant deux siècles, puis une étape pour des navigateurs qui rapportaient vers l’Europe son café.

Pendant une trentaine d’années, José Ramos-Horta, aujourd’hui âgé de 69 ans, a lutté pour que son peuple soit indépendant des Portugais, puis des Indonésiens. Il y est arrivé. Son action diplomatique a été couronnée par le Nobel de la paix en 1996, prix qu’il a reçu en même temps que l’évêque de Dili, Mgr Carlos Belo.


Il est ensuite devenu président de la jeune république, l’espace d’un mandat (2007-2012). Il précise : « notre liberté gagnée, nous n’avons pas cherché vengeance ni imposé la justice des vainqueurs. Nous avons pardonné à nos ravisseurs et à nos bourreaux sans attendre d’excuses. Nous avons rejeté le projet d’un tribunal international pour les juger. Notre indépendance a été la plus grande des justices qui nous a été rendu. »

Un père portugais exilé au Timor en 1933

José Ramos-Horta reçoit sous l’auvent d’un des bâtiments de sa maison entre une Vespa rouge, un barbecue circulaire, une pirogue en bois et un antique gramophone. Il déploie ce charme avec lequel il a défendu son pays sur tous les continents pendant vingt-cinq années.

Installé face à un colossal tronc d’arbre transformé en table basse, le visiteur découvre sur sa main le museau d’une biche. Elle réclame l’un des biscuits qui accompagne le café. Sa maison est située sur les hauteurs d’un quartier résidentiel de Dili proche de la mer et pas loin d’une statue du Christ-Roi de 27 mètres de haut.

Dominant les flots, celle-ci a été bâtie par l’occupant indonésien pour tenter de se gagner les faveurs des Timorais, tous catholiques. Une atmosphère sud-américaine se dégage de cette sorte d’hacienda gardée par trois policiers débonnaires.

L’histoire familiale de José Ramos-Horta est douce et tragique. Comme celle de son pays. Son père, sous-officier sur un bateau de guerre de la marine portugaise, est exilé au Timor en 1933 pour s’être opposé au régime du dictateur Salazar.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint l’armée australienne pour combattre les Japonais qui ont investi l’île, puis épouse une Timoraise et s’installe définitivement au Timor après un bref retour au Portugal. Ils auront douze enfants, dont José.

Ministre d’un éphémère gouvernement à 25 ans

« Dès l’âge de 13 ans, je voulais être journaliste, raconte-t-il. Juste après mes études secondaires, un officier portugais m’a appris à me servir d’une caméra. » Le jeune reporter est « sensible à la pauvreté, à Timor comme au Portugal. »

En 1974, la Révolution des œillets voit Lisbonne abandonner brusquement toutes ses colonies, jusqu’à celle de « la fin du monde ». À 25 ans, José Ramos-Horta devient le ministre des affaires étrangères – pendant dix jours – de l’éphémère gouvernement du Fretilin, le front timorais de libération nationale, qui se réclame du marxisme. « Nous n’étions pas un mouvement idéologique à proprement parler, précise-t-il, mais des individus qui, chacun dans notre coin, rêvions d’indépendance. »

En décembre 1975, les Indonésiens, profitant du retrait des Portugais, envahissent le Timor oriental. Il prend alors la direction de New York pour plaider la cause de sa jeune nation à l’ONU. Avec un autre militant du Fretilin, Xanana Gusmao, ils décident de se partager les tâches : José Ramos-Horta bataillera sur le plan diplomatique à l’étranger et Xanana Gusmao mènera la guérilla dans l’île. Mais ce dernier est capturé par les Indonésiens.

Trois de ses frères et sœurs seront tués par l’armée

En 1997, Nelson Mandela en visite en Indonésie, va le rencontrer. « Les Indonésiens l’ont autorisé à sortir de la prison pour un soir, juste pour dîner avec le président sud-africain. » Aujourd’hui, Xanana Gusmao fait figure de père de la nation timoraise, après en avoir été le président.

Retour aux années de lutte. À New York, Jose doit apprivoiser les arcanes de l’ONU tout en vivant en compagnie de cafards dans des logements de fortune. Il fait quelques traductions pour gagner de quoi manger. Depuis cette expérience, à chaque fois qu’il revient dans la ville, il se souvient « de cette expérience de la pauvreté, de la solitude et de l’indifférence des gouvernements étrangers à ma cause. » Durant l’occupation indonésienne – qui a fait 200 000 morts –, trois de ses frères et sœurs seront tués par l’armée.

Le soutien des milieux catholiques

Dans son combat diplomatique, Jose Ramos Horta a été soutenu par les représentants du Mozambique, de la Guinée-Bissau et « Selim, le délégué tanzanien qui m’a aidé très concrètement ». Une solidarité entre des nouvelles nations tout juste sorties de la colonisation. Il reconnaît aussi le rôle « impressionnant du Portugal, qui nous a soutenus avec intégrité et fermeté dans notre lutte, notamment le premier ministre Antonio Gutteres ».


Tout au long de ces années de batailles de couloir, il a aussi reçu le soutien de dirigeants et organisations catholiques : « le Cardinal Etchegaray, qui avait écrit une tribune dans Le Monde, la Conférence épiscopale américaine et, en France, le CCFD Terre Solidaire. La courte visite du Pape Jean-Paul II à Dili a permis aussi de placer Timor sur l’agenda international. » Lui, pendant ce temps, n’hésite pas à coller des affichettes pour la cause du Timor dans les toilettes des diplomates lors d’une conférence internationale sur les droits de l’homme. « Les panneaux d’affichage débordaient de tracts sur tous les combats planétaires. Alors j’ai eu cette idée pour que notre cause soit remarquée… »

Révolté par l’extrême pauvreté

Un coup de téléphone l’interrompt dans le récit de son combat. « C’est un député, explique-t-il. Ils sont en pleine crise au Parlement ». L’ancien président, toujours aux affaires, n’écarte pas l’éventualité de se présenter à nouveau à la présidence lors des prochaines élections. « La seule raison d’être dirigeant est d’aider à améliorer la condition des gens les plus faibles. Sans ça, le pouvoir n’a aucun sens. Ceci dit, il faut beaucoup d’intelligence pour mobiliser des financements afin de faire justice à ceux qui sont oubliés et méprisés depuis des générations. »

L’extrême pauvreté le révolte littéralement. « C’est une faillite des dirigeants des pays du Sud. Nous ne pouvons pas échapper à notre responsabilité. On ne peut pas blâmer tout le temps les Américains pour la corruption. » Il affirme n’avoir jamais été inspiré dans son combat par l’idéologie de Karl Marx, comme certains de ses compagnons de lutte.

Son pays, le Timor Oriental, a la chance de disposer de ressources pétrolières et a eu la sagesse de se constituer un fonds pour les générations futures de plusieurs milliards d’euros. L’ancien militant relativise les effets bénéfiques de l’aide au développement des pays occidentaux. « Ils dépensent plus pour le fonctionnement du projet que pour sa réalisation elle-même. Alors les milliards d’euros d’aides sont peu visibles sur le terrain. »


Le téléphone sonne à nouveau. L’appel du député se fait plus pressant. Jose Ramos-Horta décide de descendre en ville pour tenter de régler la crise. Il emmène le visiteur sous un autre auvent qui lui sert de garage et montre sa jeep kaki de la « Légion étrangère », en pleine restauration. Puis il invite le visiteur à monter dans sa Moke, une sorte de voiture de parcours de golf, bleu ciel et blanche, et branche sa musique pour gagner Dili. Heureux petit pays.

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Bio express

1949. Naissance à Dili, capitale du Timor oriental.

28 novembre 1975. Le Fretilin proclame la création de la République démocratique du Timor oriental. Il en devient le ministre des affaires étrangères. 

7 décembre 1975. L’Indonésie envahit le territoire et force José Ramos-Horta à l’exil.

1975 à 1985. Il représente le Fretilin à New York à l’ONU. Il prend part au dialogue organisé par les Nations unies et les États-Unis entre l’Indonésie et les Timorais.

1996. Il reçoit le prix Nobel de la paix conjointement avec l’évêque de Dili, Mgr Carlos Belo.

1999. L’ONU organise un référendum d’autodétermination qui conduit à l’indépendance du Timor oriental en 2002. Il devient ministre des affaires étrangères.

2006. Il est nommé premier ministre. Un an plus tard, il est élu président de la République mais ne sera pas réélu en 2012.

2008. Il est la cible d’un attentat pour lequel il sera hospitalisé en Australie.
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Coups de cœur

« Les Misérables » de Victor Hugo
Dans un discours devant les députés, alors que j’étais président, j’ai cité cette œuvre littéraire pour expliquer ce qui me motivait. Je me sens solidaire du héros de Victor Hugo. Jean Valjean a été condamné pour avoir voulu lutter pour nourrir sa fille. Il a été arrêté, persécuté pendant des années par l’inspecteur Javert. J’ai dit aux députés que s’ils ne voulaient pas que je viole les lois de notre pays, il fallait qu’ils aident les pauvres.

Danielle Mitterrand
L’épouse du président français est venue au Timor oriental quand nous combattions pour notre pays. Elle a logé dans une chambre sans eau chaude et cela ne lui posait pas de problème. C’était une femme avec un cœur en or. Une belle personne. Son association France Libertés nous a soutenus et a fait beaucoup pour nous aider à avoir notre indépendance.


https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Jose-Ramos-Horta-diplomate-combattant-2019-06-29-1201032186

publié par Association France Timor Leste @ 16:37,

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