Ximenes Belo accusé de pédophilie

La vie chrétienne :

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Enquête au Timor oriental : « Paulo et Roberto veulent que l’évêque et l’Église reconnaissent les crimes commis à leur encontre »

Le 28 septembre 2022, le média néerlandais De Groene Amsterdammer publiait une enquête sur Mgr Carlos Belo. L’ancien évêque du Timor oriental et Prix Nobel de la paix est soupçonné d’abus sexuels sur mineurs. Entretien avec la journaliste Tjitske Lingsma, qui a mené cette longue enquête.
 
Caroline Celle
 
Publié le 07/10/2022 à 10h22, mis à jour le 07/10/2022 à 10h35 • Lecture 7 min.

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L'évêque catholique romain du Timor oriental et lauréat du prix Nobel de la Paix Carlos Ximenes Belo a été accusé d'avoir abusé sexuellement de garçons au Timor oriental dans les années 1990.   • FIRDIA LISNAWATI/AP/SIPA

L’évêque émérite de Dili, la capitale du Timor oriental en Asie du Sud-Est, est accusé d’abus sexuels sur plusieurs mineurs durant son mandat de 1983 à 2002. Jeudi 6 octobre 2022, le journal La Croix a révélé qu’une enquête interne commençait au Vatican pour prendre en compte « des informations antérieures (…) conservées dans plusieurs dicastères romains » et que cette enquête allait engager un « processus long » qui « ne fait que commencer » selon une source vaticane. Jeudi 28 septembre, le Vatican avait pourtant annoncé officiellement, par son service de presse, qu’il avait pris des sanctions disciplinaires contre Mgr Carlos Felipes Ximenes Belo depuis 2020 (voir l’article de La Vie).

C’est le média néerlandais De Groene Amsterdammer qui est à l’origine de ces révélations sur Mgr Carlos Belo, avec la parution d’une enquête journalistique le mercredi 28 septembre 2022, et les témoignages de deux victimes. Cet hebdomadaire indépendant fait partie des grandes références de la presse d’investigation aux Pays-Bas. La journaliste Tjitske Lingsma, autrice de plusieurs livres sur la justice et les droits de l’homme, a mené cette enquête. Elle revient pour La Vie sur les origines de son travail, le contexte politique au Timor oriental et la réponse de l’Église face à cette affaire.

 

Selon votre enquête, des soupçons d’abus sexuels sur mineurs pèsent sur Mgr Carlos Belo depuis 2002. Que se passait-il à l’époque ?

J’en ai entendu parler pour la première fois en 2002, lorsqu’un Timorais m’a dit que son ami avait été abusé sexuellement par l’évêque Belo. C’est à cette époque que le journal Boston Globe, aux États-Unis, a révélé un grand nombre de cas d’abus sexuels dissimulés par l’Église dans le diocèse de Boston. Grâce au travail du Boston Globe, un grand nombre de journalistes internationaux ont pris conscience de l’ampleur du problème. C’est dans ce contexte que cette personne timoraise est venue me voir. Il avait également peur pour son jeune frère qui se rendait chaque semaine à la résidence de l’évêque Belo. Et il a dit à sa mère qu’elle devait empêcher le garçon de s’y rendre. Cette année-là, les rumeurs concernant les abus commis par l’évêque sont alors devenues un secret de Polichinelle au Timor oriental.

À la fin de l’année 2002, l’évêque Belo a demandé au pape d’être relevé de ses fonctions au Timor oriental. Peut-être parce que les affaires s’accumulaient autour de lui ? Nous ne le savons pas, mais il a évoqué des raisons de santé et de fatigue. Il s’est rendu au Portugal pour se rétablir. Puis, de manière étrange, il est passé du statut d’évêque mondialement connu à celui de « prêtre assistant » au Mozambique en 2004, où il travaillait avec des enfants et enseignait le catéchisme.

 

Comment avez-vous lancé votre enquête sur Mgr Carlos Belo ?

En 2019, je suis retourné au Timor oriental et j’ai entendu parler d’un autre prêtre soupçonné d’abus sexuels, Richard Daschbach. À l’époque, pas un seul cas d’abus sexuel sur mineur, commis dans le clergé, n’avait été publié par les médias du pays. J’ai enquêté sur ce prêtre d’origine américaine avec le journaliste timorais José Belo (fondateur des hebdomadaires Tempo Semanal et Tempo Timor, ndlr) et nous avons découvert que ce prêtre avait en fait déjà été reconnu coupable par le Vatican, qui l’avait sanctionné en le démettant de ses fonctions de prêtre. Mais l’Église avait gardé le silence sur cette affaire. L’ancien prêtre vivait librement près du refuge qu’il avait créé et où il avait abusé des filles qui y vivaient. Nous avons rendu publique la condamnation de Daschbach par le Vatican. Lentement, le système judiciaire timorais a pris des mesures à son encontre. Dans le même temps, les victimes, leurs avocats et les journalistes étaient intimidés par les partisans de Daschbach. Mais il a finalement été jugé, reconnu coupable et condamné à la prison.

Une fois l’affaire sur cet ancien prêtre publiée, j’ai senti que je pouvais commencer à enquêter sur une figure encore plus importante de l’Église timoraise, l’évêque Belo. Je me suis rendu compte que je devais travailler seule, car c’était trop dangereux pour les journalistes timorais. L’évêque avait trop d’influence, et le risque d’intimidation des gens était encore plus élevé. Mais j’ai aussi reçu beaucoup d’encouragements des Timorais qui m’entouraient, même si j’étais une étrangère dans ce pays. Une vingtaine de sources confidentielles m’ont dit connaître une victime ou avoir discuté de l’affaire au travail : dignitaires, fonctionnaires, politiciens, membres de l’Église…

 

Pourquoi Mgr Carlos Belo était-il si influent dans l’Église timoraise ?

L’évêque Carlos Belo était le chef de l’Église du Timor oriental depuis 1983, et donc le plus haut responsable de l’Église dans le pays. Il était considéré comme l’un des plus grands héros de la résistance timoraise. Il convient de noter que la partie orientale de l’île de Timor a d’abord été une colonie portugaise avant d’être indépendante, puis annexée de force par l’Indonésie en 1975. Pendant la majeure partie du mandat de l’évêque Belo, de 1983 à 2002, le pays a été occupé par l’Indonésie dans un contexte d’extrême violence et de pauvreté. Selon les enquêtes officielles publiées dans le rapport Chega, on estime que 183 000 Timorais sont morts pendant l’occupation, victimes de la famine, de la maladie, de l’épuisement et de la violence.

Carlos Filipe Ximenes Belo a été enseignant, puis prêtre, puis chef de l’Église, puis évêque et a pris une position très ferme contre l’invasion indonésienne. Il a appelé à l’autodétermination et n’a pas hésité à descendre dans la rue pour servir de médiateur lorsque l’armée et la police indonésiennes attaquaient les citoyens timorais. Il a accueilli dans sa maison les survivants du massacre de Santa Cruz, au cours duquel de nombreuses personnes ont trouvé la mort. Et il a appelé haut et fort la communauté internationale à organiser un référendum sur l’avenir du Timor oriental. Lorsqu’il a reçu le Prix Nobel de la paix en 1996, les Timorais ont vécu cela comme une immense victoire. Leur situation était enfin mise en lumière. Lors du référendum organisé par l’Onu en 1999, le peuple a voté pour l’indépendance. En 2002, le statut d’État souverain du Timor oriental a été officiellement rétabli. Alors, oui, l’évêque Belo était un leader de la lutte pour l’indépendance, et pour les Timorais, c’était un grand honneur de le voir, d’être invités chez lui.

 

Plus largement, l’Église catholique a une importance considérable au Timor. Cela a-t-il contribué à empêcher les victimes de témoigner ?

C’est l’occupation indonésienne, dans des conditions terribles, qui a donné à l’Église tant d’influence. Elle était l’institution de confiance de la population du pays, car les gens pouvaient y trouver refuge. Les religieux fournissaient de la nourriture, des soins de santé, une éducation et un abri. De nombreux prêtres timorais étaient très impliqués dans la résistance contre l’occupant, comme l’évêque Belo. Les Timorais se sont sentis soutenus par l’Église et se sont convertis en masse au catholicisme. La majorité des Timorais étaient animistes avant 1975, et près de 97 % d’entre eux sont devenus catholiques dans les années 1980 et 1990, pendant le mandat de l’évêque Belo.

Dans mon enquête, Paulo explique bien que c’était un honneur d’aller chez l’évêque. Il était un adolescent pauvre au moment des abus, comme d’autres victimes. La grande majorité de la population timoraise était très vulnérable. Paulo dit que l’évêque lui a donné de l’argent après avoir été abusé par lui dans sa résidence, et qu’il a répété cela avec d’autres personnes. Une autre victime, Roberto, dit que l’argent était un moyen de le faire taire. Je pense que l’Église devrait enquêter sur l’origine de l’argent. Vient-il de son fonds personnel, de l’Église timoraise ou du Prix Nobel de la paix ?

 

Vous avez contacté le Vatican, suite à votre travail d’investigation. Avez-vous reçu une réponse ?

L’hebdomadaire De Groene a d’abord donné à l’évêque Belo l’occasion de répondre à ce que les victimes et d’autres personnes nous avaient dit au sujet des abus sexuels. J’ai appelé l’évêque le 20 septembre, en lui expliquant que j’avais un problème grave à soulever. Il m’a répondu qu’il était chez le médecin, avant de raccrocher. J’ai essayé de le contacter à nouveau et j’ai été très déçue de ne pas avoir de réponse. Je me suis alors tournée vers la congrégation salésienne de l’évêque à Rome, puis vers le Dicastère pour la Doctrine de la foi. Mes questions, envoyées par e-mail, sont restées sans réponse, et je n’ai reçu aucune confirmation de la réception de l’e-mail. Le cardinal timorais Virgilio do Carmo da Silva m’a poliment répondu que je devais contacter le nonce au Timor oriental, Marco Sprizzi. Il s’est montré très professionnel et m’a dit qu’il avait envoyé mes questions aux autorités compétentes du Saint-Siège.

Toutefois, nous n’avons pas reçu de réponse du Vatican. Nous avons donc procédé comme prévu à la publication de notre article le 28 septembre 2022. Dès sa parution, nos collègues de l’agence de presse américaine Associated Press à Rome ont interrogé le Vatican, qui a donné une réponse officielle le lendemain, le 29 septembre. Le Vatican y explique qu’il a pris des mesures disciplinaires contre l’évêque Belo en 2020, qui ont été renforcées en 2021 : il y a des restrictions de voyage (il vit au Portugal et n’est pas autorisé à se rendre de sa propre initiative dans son pays d’origine) et une interdiction d’approcher les mineurs.

Le nonce Sprizzi au Timor oriental a également donné une interview à la Radio-Télévision nationale du Timor oriental (RTTL) le 4 octobre 2022 pour expliquer que l’affaire Belo au Vatican n’en était plus au stade de l’accusation, mais qu’une décision avait bien été prise. Elle déclarait l’évêque Belo coupable et le sanctionnait, ce que l’évêque avait accepté. Mais nous sommes ici en présence d’une dissimulation. Pourquoi le Vatican n’a-t-il pas été transparent ? Pourquoi n’a-t-il rendu publique sa décision de condamner l’évêque Belo qu’après le témoignage des victimes dans De Groene ? Paulo et Roberto veulent que l’évêque et l’Église reconnaissent les crimes commis à leur encontre et exigent des remords et des excuses sincères, ce qui est important pour leur parcours de guérison. Comme le reflète le titre de mon article : « Ce que je veux, ce sont des excuses ».

 

 

publié par Association France Timor Leste @ 14:10,

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