Maria de Lourdes Martins Cruz se penche par-dessus la balustrade. Perché dans les montagnes du Timor oriental, petit pays d’Asie du Sud-Est, dans la ville de Dare, à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale Dili, le foyer de l’institut géré par cette laïque offre une vue dégagée sur un paysage à couper le souffle : la commune en contrebas, la jungle et les eaux turquoise de la mer de Banda aux îles dispersées.
La terrasse de l’Institut séculier des frères et sœurs en Christ (Ismaik) est sobrement décorée. Quelques mètres plus bas, au pied d’un escalier escarpé, se trouvent les dortoirs qu’abrite cet institut dirigé par celle que les Timorais surnomment avec affection « Mana Lu » (« grande sœur Lou »).
Loin de l’agitation de la capitale, l’endroit ressemble à un havre de paix. « La vie ici est douce parce que nous mettons notre énergie au service des autres et de la communauté, sourit sœur Lou, âgée de 60 ans. Nous avons aujourd’hui 120 élèves de 3 à 15 ans à Dare, orphelins ou issus de familles en difficulté. » Cette laïque consacrée, ayant fait vœu de célibat, a fait de l’instruction et de la protection des plus démunis sa vocation, dans un pays où plus de 40 % de la population vit sous le seuil national de pauvreté. Après un coup d’œil à l’horizon, elle esquisse un grand sourire puis s’assoit pour raconter les origines de son engagement.
« Je ne pouvais pas rester sans rien faire »
« Quand j’étais jeune, je fréquentais les sœurs de la charité et les dominicaines, se souvient-elle. Je pensais revêtir l’habit blanc. » À cette époque, le Timor oriental est occupé par l’armée indonésienne. Lorsqu’elle se remémore ces souvenirs douloureux, elle éclate en sanglots. « La guerre a détruit deux générations, explique-t-elle sans essayer de contenir ses larmes. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je voulais former, toujours former. »
En 1984, elle part étudier à Djakarta (Indonésie) dans un institut jésuite. « Les Indonésiens nous voyaient comme un peuple primitif et inférieur. Cela m’a révoltée. Les Timorais sont peut-être illettrés mais ce sont les miens. » Maria de Lourdes Martins Cruz comprend alors que sa vocation ne se trouve pas entre les murs du couvent mais au-dehors, auprès de son peuple. À son retour, soutenue par des missionnaires, elle crée en 1993 l’Ismaik.
Les statuts sont approuvés cinq ans plus tard, faisant d’elle la première femme timoraise à la tête d’un institut séculier, suscitant des critiques au sein du clergé local. En 2012, l’administrateur du diocèse lui demande de fermer son centre. N’ayant jamais reçu le courrier fatidique, elle ne s’est pas exécutée : « Au Timor, les femmes n’ont que deux options : se marier ou devenir bonne sœur. J’ai choisi la troisième voie, cela m’a attiré des ennuis. »
Tous les liens sont désormais coupés avec l’Église institutionnelle. « Cela m’attriste, mais nous tenons bon », affirme-t-elle. Dans les centres de l’Ismaik, l’enseignement scolaire et religieux est complété par des cours d’éducation affective, un apprentissage singulier au Timor oriental. « Ici, filles et garçons vivent ensemble, revendique Maria de Lourdes Martins Cruz. Il existe trop de problèmes de violences domestiques et sexuelles dans ce pays pour ne pas leur apprendre à cohabiter dans le respect. »
Une clinique pour soigner les plus défavorisés
La silhouette frêle et le visage doux de cette femme ne trahissent pas le travail d’une vie pour l’aide aux plus pauvres. En 1999, elle ouvre avec un médecin américain une clinique à Dili, dans le quartier de Bairo Pite, où ont été soignés gratuitement jusqu’à 300 malades issus des classes sociales les plus défavorisées chaque jour, en particulier des Timorais atteints de la tuberculose.
Mais, en 2017, l’établissement ferme par manque de financements. « Des investisseurs ont exigé que les patients paient les consultations pour la rentabilité de l’hôpital, explique Mana Lu en fronçant les sourcils. J’ai refusé. » Son œuvre est récompensée l’année suivante par le prix Ramon-Magsaysay, le « prix Nobel de la paix asiatique ».
Pour pallier le manque d’argent, elle se tourne vers la médecine traditionnelle afin de soigner ses étudiants et les habitants des alentours. Derrière le centre de l’Ismaik, elle cultive des plantes médicinales aux propriétés réputées bénéfiques pour la santé. Au milieu de celles-ci, des lianes de vanille, des cacaotiers, des canneliers poussent à côté des fruits et légumes destinés aux repas des élèves. En inspectant le jardin, elle cueille des baies et des fruits pour les faire goûter. « Beaucoup de personnes souffrent de sous-alimentation et se nourrissent presque exclusivement de riz, ce qui n’est pas bon pour le développement du corps, regrette Mana Lu. Alors nous éduquons aussi nos élèves au bien-manger et dispensons des cours d’agriculture. »