Le désert juridique pourrait aggraver le traumatisme de la violence domestique au Timor-Leste


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Un service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies

 

La purge judiciaire risque de rendre vaine la nouvelle loi contre la violence domestique



 Dili , 17 décembre 2014 (IRIN) - Les efforts entrepris par le Timor-Leste pour réduire la prévalence de la violence domestique fondée sur le genre par la criminalisation et la judiciarisation étaient déjà contrariés par le manque général de confiance dans le système judiciaire traditionnel. Ils ont de nouveau été entravés par le départ forcé de 11 personnels judiciaires étrangers ayant joué un rôle majeur dans l’administration de la justice dans les zones rurales.

« La décision arbitraire du Parlement et du gouvernement du Timor-Leste de mettre fin aux contrats des personnels de justice et des conseils judiciaires internationaux aura un effet négatif sur les victimes et sur leur droit à un recours effectif », a dit Amnesty International, en soulignant que le changement de personnel pourrait avoir pour conséquence d’entraîner un réexamen des dossiers, ce qui pourrait retarder davantage les procédures et traumatiser à nouveau les victimes qui auront témoigné à de multiples reprises.

« Parmi les affaires réexaminées figurent des affaires de violence domestique et d’agression sexuelle qui représentent la grande majorité des affaires traitées par les tribunaux du Timor-Leste », selon Amnesty International. « Les victimes – pour la plupart des femmes et des enfants – peuvent subir un nouveau traumatisme supplémentaire et être confrontées à une victimisation supplémentaire si elles doivent témoigner devant d’autres tribunaux ».

Les juges étrangers, pour la plupart originaires du Portugal - l’ancienne puissance coloniale – travaillaient au Timor-Leste depuis l’indépendance du pays, en 2002, après 24 ans d’occupation militaire par l’Indonésie. A cette époque, les viols et violences sexuelles étaient courants et restaient le plus souvent impunis.

« Renvoyer des juges, des procureurs et d’autres personnels judiciaires entraîne une charge de travail supplémentaire pour notre système judiciaire et monopolise également des ressources considérables », a dit Casimiro dos Santos, le directeur par intérim de l’organisation non gouvernementale (ONG) Judicial System Monitoring Project (JSMP), basée à Dili, en ajoutant qu’au moins deux tribunaux de district ont ordonné le réexamen d’affaires traitées par des juges étrangers.

Et dans un pays où les retards dans le traitement des procédures judiciaires sont courants, la combinaison de la dépendance aux mécanismes informels de résolution des différends et des pressions intenses subies par les survivantes de violence domestique pour qu’elles ne quittent pas leur famille peut inciter ces femmes à se tenir à l’écart des mécanismes formels de justice.

« Des femmes viennent nous demander des services thérapeutiques après avoir subi des violences domestiques, mais elles finissent par repartir », a dit à IRIN Manuel dos Santos, le directeur de l’ONG PRADET, un programme de rétablissement psychosocial basé à Dili. « Elles prennent conscience des lenteurs du système judiciaire et elles subissent les pressions de leur communauté. Ces éléments s’ajoutent les uns aux autres et les poussent à rentrer chez elles avant que l’affaire ne soit présentée devant un tribunal », a-t-il dit.

Les recherches de ‘The Asia Foundation’ (TAF), une organisation qui réalise notamment des enquêtes sur la perception du droit et de la justice au Timor-Leste chaque année, révèlent des schémas identiques.

« Chaque année, un nombre croissant d’affaires de violence domestique sont traitées par la justice informelle, mais de manière générale, notre enquête montre que beaucoup d’affaires sont encore traitées par les communautés », a dit Todd Wassel, le directeur des programmes de sécurité et de sûreté de l’organisation TAF au Timor-Leste. « Nous pensons que, dans la plupart des affaires, la police est présente et crée les conditions favorables à la médiation et à la résolution des litiges au sein de la communauté ». 

Alors que le Timor-Leste subit des pressions croissantes pour revenir sur sa décision d’expulser les juges étrangers, la question se pose de savoir si le fragile secteur de la justice peut protéger les droits des femmes dans un cadre juridique hybride qui n’a pas encore fait la preuve de qu’il jugeait les survivantes de violence avec équité.

Nouvelles lois, anciennes pratiques

Lorsque le Timor-Leste a promulgué la Loi contre les violences domestiques en 2010, la qualification de ce délit en « délit public » a été perçue comme une avancée majeure qui devait permettre de mettre fin au fléau des violences contre les femmes, une pratique socialement acceptée. « Le caractère public du crime implique que l’Etat s’attaque aux violences domestiques, qu’une victime ait déposé plainte ou non », a expliqué rapport  rendu public par le Programme des Nations Unies pour le développement en 2013.

Un des principaux éléments de la loi de 2010 est qu’elle n’autorise pas la justice coutumière (les pratiques locales et traditionnelles utilisées par les chefs des communautés) à juger les affaires de violence domestique. Le PNUD a toutefois reconnu : « Etant donné leur importance au sein de la société timoraise, [les pratiques de droit coutumier] sont un élément nécessaire d’une stratégie de lutte contre les violences domestiques ».

L’Enquête démographique et sanitaire 2010 du Timor-Leste indique que près de 40 pour cent des femmes ont subi des violences domestiques. D’après la JSMP, qui a noté que 46 pour cent des affaires suivies par l’ONG à partir de 2013 concernaient des cas de violence domestique, seule une affaire jugée par un tribunal a donné lieu à une peine effective.

L’étude montre également que la léthargie des tribunaux n’était qu’une partie du problème. Les rendus de jugements cléments dans les tribunaux et l’habitude qu’ont les victimes à préférer des mesures informelles (notamment celles surveillées par la police) peuvent aussi favoriser un règlement sommaire des affaires à l’extérieur des tribunaux, en violation du droit.

Un rapport établi par l’International Crisis Group en 2013 explique que « la capacité d’investigation [de la police] reste très limitée. Rares sont les officiers qui connaissent le Code pénal, et la tenue des dossiers et la conservation des preuves restent problématiques ».

L’étude sur le droit et la justice du Timor-Leste réalisée en 2013 par TAF a relevé une sensibilisation et un désir accrus à long terme de justice : 80 pour cent des répondants qui connaissaient les tribunaux ont indiqué qu’ils souhaiteraient qu’un tribunal règle les différents locaux, contre 4 pour cent en 2004. Le nombre d’affaires jugées par les tribunaux des quatre districts a également augmenté – de 808 en 2010 à 1 380 en 2012.

« En 2008, quand nous avons demandé aux gens comment les différends étaient réglés, seulement 29 pour cent d’entre eux ont dit avec l’aide de la police, au sein de la communauté ; en 2013, ils étaient 56 pour cent », a dit M. Wassel de TAF. « Il apparait donc clairement que la police s’implique davantage dans les questions locales qu’avant – ce que l’on peut voir comme quelque chose de positif, un engagement de la police locale ».

Cependant, si l’engagement de la police traduit une amélioration des relations, il complique peut-être les processus judiciaires que la loi de 2010 prévoit.

Rendre des comptes et… ?

Alors qu’un nombre plus important de cas de violence domestique sont traitées par la justice formelle et que l’engagement de la police s’améliore, le fait que les victimes de violence domestique continuent d’avoir recours aux pratiques coutumières pourrait traduire un problème d’accessibilité – et des tendances persistantes et dangereuses.

M. dos Santos de PRADET dit que son organisation a des difficultés à convaincre les femmes qui ont signalé des actes de violence domestique d’attendre que des procédures officielles soient menées. « Elles sont habituées à la vie dans leur village, avec leurs proches et leur mari, alors elles sombrent dans la dépression, et elles subissent des pressions pour rentrer et régler le problème par le biais des pratiques de droit coutumier », a-t-il dit.

D’après TAF, les mécanismes de pratiques de droit coutumier ne sont pas homogénéisés et dépendent plus des personnes que des procédures, ce qui veut dire qu’il peut "y avoir de graves manquements en matière d’administration de la justice, notamment en matière d’affaires de violence domestique et de violence contre les femmes ».

« Cette tendance soulève des grandes interrogations sur la justice formelle au Timor-Leste », a expliqué M. Wassel de TAF. « Il apparait que la justice accessible est la justice informelle. La question reste de savoir si le système informel peut fonctionner en respectant les droits des femmes dans les affaires de violence domestique – on ne le sait pas et, jusqu’ici, cela n’a pas toujours été le cas ».

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publié par Association France Timor Leste @ 00:11,

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