L'ancien chef rebelle pleuré à Dili
Publié le 2008/02/14
RFI
Article publié le 13/02/2008 Dernière mise à jour le 13/02/2008 à 12:52 TU
Des hommes transportent le cercueil qui contient le corps d'Alfredo Reinado.
(Photo : Solenn Honorine/RFI)
De notre envoyée spéciale à Dili, Solenn Honorine
Il est des frontières à Dili que l'on ne traverse pas, comme cette rue où trotte un cochon noir. A gauche, c'est le quartier de Perumnus, où la plupart des jeunes désœuvrés, qui sont assis en petits groupes sur les trottoirs, sont de chauds partisans d'Alfredo Reinado, le chef rebelle tué lors de l'attaque contre la maison du président José Ramos-Horta. D'ailleurs leur leader, Koku Diais, a du mal à croire à sa mort. « Ça ne fait aucun sens. Pourquoi viendrait-il à Dili pour faire cela ? S'il voulait tuer José Ramos-Horta, il l'aurait fait il y a longtemps, lorsqu'il en a eu l'opportunité », grogne-t-il.
En effet la double attaque de lundi, qualifiée de « coup d'état manqué » par le gouvernement, puisqu'elle visait les deux têtes de l'exécutif à 45 minutes d'écart, a apparemment surpris les partisans d'Alfredo. Cela faisait déjà plusieurs mois que le gouvernement avait officiellement suspendu les recherches et usait de la diplomatie pour le persuader de se rendre de manière pacifique ; le président avait même rencontré le rebelle plusieurs fois en tête à tête. « Tout ça c'est un coup monté, un complot afin d'effacer les preuves de l'innocence d'Alfredo », conclut Koku. Qu'importe si le corps de son héros a été retrouvé à la résidence du président, sur les lieux même de la fusillade ; Koku va même jusqu'à même douter de sa mort.
Il se rend alors dans la maison de la famille du rebelle tué, qui attend que l'hôpital lui remette le corps. Malgré l'état d'urgence déclaré dans le pays, qui interdit tout rassemblement et démonstration, plusieurs centaines de personnes, principalement des hommes jeunes, ont eu le même mouvement que Koku. Cette situation est sensible alors que le Timor craint de retomber dans les troubles qui avaient déchiré le pays en 2006, lorsqu'un groupe de soldats, dont Alfredo Reinado prit ensuite la tête, protestaient contre leur renvoi de l'armée.
« Maintenant, qui nous écoutera ? »
Du coup, la présence des forces de l'ordre reste très visible, et juste avant l'arrivée du corps, le père d'Alfredo s'adresse à la foule en compagnie d'un responsable policier. « La police est ici pour assurer la sécurité, c'est tout », explique-t-il à la foule. Un peu plus tôt, il était apparu à la télévision en compagnie du Premier ministre pour appeler le pays à rester calme, allant jusqu'à embrasser ce dernier, qui avait été visé dans la seconde attaque. « On ne résoudra pas ce problème dans le sang. Alfredo est mort, donc je demande à ses partisans de se regrouper pour bâtir une meilleure nation », a-t-il plaidé. Cet appel semble avoir porté ses fruits, puisque le pays est resté calme toute la journée. Par précaution toutefois, le parlement timorais évaluait la possibilité de prolonger d'une semaine l'état d'urgence et le couvre-feu, en vigueur de 21h à 6h.
Lorsque la voiture mortuaire arrive, un grand cri s'échappe de la foule. Autour de la table nappée de noir où est posé le corps d'Alfredo et du second soldat tué lors de l'attaque, des femmes crient, pleurent et gémissent en embrassant son portrait. Les partisans insistent pour ouvrir le cercueil, afin de s'assurer que leur héros est bien mort. Les « Viva Alfredo ! » se succèdent dans la foule aux poings levés. Une femme s'évanouit. Les policiers surveillent la scène d'un œil nerveux.
La police nationale était en charge de la sécurité lors de la veillée funèbre d'Alfredo.
(Photo : Solenn Honorine/RFI)
« Reinado était le seul qui nous parlait de justice. C'était un héros », assène Arus, un jeune homme présent au rassemblement. Qu'importe si les revendications d'Alfredo Reinado restaient vagues ; le cri de « justice », bien qu'il ne soit appuyé sur aucune revendication vraiment concrète, a trouvé un écho auprès de la jeunesse. A l'université, quasi déserte, un petit groupe d'étudiants venus suivre leurs cours acquiesce. L'un d'entre eux, Jorge Ribeiro Freitas, avoue avoir voté pour le parti Fretilin lors des dernières élections, il y a moins d'un an. Or pendant la crise de 2006, Alfredo avait fait de la démission du Premier ministre Fretilin son mot d'ordre. Mais pour Jorge, cela n'a pas d'importance. « Les autres hommes politiques ne font jamais attention aux jeunes, personne ne nous écoute et ne nous parle, à part Alfredo. Maintenant qu'il a disparu, qui nous écoutera ? »
Pour des raisons de sécurité, l'enterrement ne pourra pas avoir lieu à Maubisse, le village natal d'Alfredo : en cette saison des pluies les routes sont mauvaises et le trajet trop long pour pouvoir assurer la bonne conduite du convoi mortuaire le long de la route. Mais à Dili également, et surtout, les funérailles vont avoir lieu sous haute surveillancepublié par Association France Timor Leste @ 00:27,